L'artiste

Linda Le Kinff : l’audacieuse alchimiste entre tradition et modernité

Imaginez une artiste qui, d’emblée, vous fait voyager entre la France et le Brésil, puis qui vous embarque sans ménagement en Italie, au Japon, en Inde… C’est un peu ça, l’univers de Linda Le Kinff : un tourbillon de couleurs, de cultures et de techniques, où les femmes affichent des courbes généreuses, la tête pleine de rêves et les chats rôdent un peu partout en guise de témoins silencieux.

Née d’une mère française et d’un père brésilien, Linda a grandi dans une double culture qui imprègne profondément sa peinture : la grâce sophistiquée de la tradition artistique française côtoie la palette éclatante des pays d’Amérique latine. Rien ne la prédestinait cependant à faire carrière dans l’art, puisqu’elle suit, dans un premier temps, un parcours d’études plutôt classique. C’est le frottement de la vie — les rencontres avec des peintres, sculpteurs et autres esprits libres — qui la fait bifurquer vers la toile et les pigments dans les années soixante.

Le choc décisif de son parcours ? L’Italie. À 18 ans, Linda découvre Florence et s’en trouve littéralement émerveillée. L’art de la Renaissance la bouleverse, si bien qu’elle y retourne régulièrement durant quinze ans, épongeant au passage toutes sortes de techniques anciennes (la tempera à l’œuf, l’utilisation de la feuille d’or, la gravure sur cuivre…) et en apprivoisant de plus récentes (l’aérographie, l’acrylique, la sérigraphie). Dans l’atelier de Franco Cantini, elle côtoie des maîtres comme Zancanaro ou Chipola, dont l’influence marquera durablement son style.

Un autre moment-clé de son parcours advient par hasard — ou par coup de pinceau du destin, oserait-on dire — en 1974 : alors qu’elle travaille sur une lithographie à Arcueil, elle rencontre Sir Myles Cook, directeur de Christie’s Contemporary Art à Londres. C’est le début d’une collaboration de plus de douze ans, grâce à laquelle Linda expose un peu partout en Europe, au Japon et jusqu’en Australie. Ses œuvres circulent d’une galerie à l’autre (Burlington Art Galleries à Hong Kong, Krashin Gallery aux États-Unis…) et conquièrent petit à petit la scène internationale.

Ses voyages successifs (en Inde, où elle « rencontre » la couleur, au Japon, où elle explore le sumi-e sous la houlette du maître Sujiama Yu, au Maroc aux côtés de la poétesse Chabia…) ne cessent d’alimenter son imaginaire. Linda en ramène des techniques, des motifs, des visions qui s’accumulent dans son répertoire. Peu à peu, son style se forge, à la fois ancré dans l’héritage des grands maîtres de la Renaissance et ouvert sur toutes les audaces. Linda cite Matisse, Klimt, Modigliani ou Picasso parmi ses inspirations ; elle reprend volontiers la liberté des lignes, voire la déconstruction cubiste, pour mieux raconter ses propres histoires.

La « touche Le Kinff » se reconnaît au premier coup d’œil : des silhouettes féminines voluptueuses, des chats qui papillonnent dans le décor, des couleurs vives et chatoyantes posées sur du bois ou sur toile. Les vernis et mélanges qu’elle invente lui permettent d’obtenir une densité chromatique unique, alliant finesse classique et vibrant modernisme. Elle affectionne également le pastel à l’huile, l’encre, l’aquarelle et, récemment, le collage. De quoi multiplier encore les possibilités et nous rappeler qu’un artiste, pour elle, n’existe qu’à condition de ne jamais se reposer sur ses lauriers.

Son talent n’a d’ailleurs pas tardé à être repéré : en 1998, elle devient l’artiste officielle de la Coupe du Monde de Football en France, ce qui lui vaut l’honneur inédit de voir l’une de ses œuvres frappée en pièce commémorative. Puis, en 2010, elle est la première artiste française sélectionnée pour illustrer le prestigieux Kentucky Derby : clin d’œil du destin, le cheval qu’elle peint porte le numéro 4 et remporte effectivement la course sous ce même numéro… Coïncidence ? Certains y verront un joli pied de nez à l’idée que l’art et le sport seraient deux mondes séparés.

Entre ses collaborations avec la Park West Gallery (qui lui ouvre l’Amérique sur un plateau) et ses nombreuses expositions à travers le monde, Linda ne cesse de diversifier ses mediums, s’essayant même à la sculpture et à la sérigraphie. Toujours avec ce même credo : l’artiste doit sans cesse innover, quitte à prendre des risques, car la création est un éternel recommencement. Elle affirme elle-même : « Nous ne sommes que les artisans d’une étrange poésie qui nous dépasse. »

En fin de compte, comment définir l’art de Linda Le Kinff ? Il est à la fois léger et profond, intemporel et pleinement ancré dans notre époque. Ses tableaux parlent toutes les langues, comme si son style singulier, empreint de son héritage français, de ses racines brésiliennes et de ses folles échappées à travers la planète, contenait en lui-même un message universel. Les femmes qu’elle peint, rassurantes et voluptueuses, semblent nous chuchoter à l’oreille : « La beauté est partout, si l’on sait la regarder avec un soupçon d’audace et de rêverie. »

Ce qui est sûr, c’est que Linda Le Kinff laisse derrière elle un sillage inimitable dans l’Histoire de l’Art. Et elle n’a pas fini de nous surprendre, tant cette insatiable voyageuse paraît encore avoir mille idées à partager, mille mondes à peindre — toujours avec cette douceur colorée qui la caractérise.